Les nitrates, que l’on trouve à des taux parfois élevés dans l’eau de boisson, préoccupent la communauté scientifique. Mais ce sont surtout les nitrites qui inquiètent, par leur présence massive dans la charcuterie. Faisons le point sur ces substances dont les effets cancérigènes sont avérés.

Nitrates dans l’eau : une pollution humaine sous surveillance

Les nitrates, substances chimiques naturelles composées d’azote et d’oxygène, sont issus de la décomposition de matière végétale ou animale. Les principales sources alimentaires de nitrates sont les légumes, qui représentent près des deux tiers des apports. La roquette, la betterave, les épinards, la laitue et le céleri en sont riches. L’eau de boisson représente quant à elle environ 25 % de notre consommation de nitrates. Ces éléments nutritifs indispensables aux plantes ne devraient normalement se trouver qu’en faible quantité dans l’eau, mais l’épandage massif d’engrais et de lisier, fortement concentrés en nitrates que les plantes sont incapables de consommer, entraîne leur migration dans les nappes phréatiques. Cette pollution est amplifiée par les rejets des collectivités locales, de l’industrie du papier, des fromageries, des abattoirs ou encore des élevages de porcs, ces derniers contribuant par exemple à la prolifération d’algues vertes en Bretagne.

Pour éviter que les nitrates finissent dans notre verre, les stations d’épuration les filtrent et l’Agence régionale de santé (ARS) réalise le contrôle des eaux de consommation au niveau de la ressource, des stations de traitement et des réseaux de distribution d’eau. Depuis 1980, 12 600 captages d’eau potable ont été fermés (sur 37 700 au total), dont environ 40 % du fait de teneurs excessives en nitrates et/ou pesticides. Bien que 99,3% de la population a été alimentée par de l’eau respectant les limites de qualité réglementaires en 2021, la Commission européenne a une nouvelle fois demandé à la France de mettre en œuvre la législation de l’UE, arguant que plusieurs milliers de personnes boivent toujours une eau qui contient des quantités excessives de nitrates. L’ARS nous apprend en effet que 440 000 personnes ont été alimentés par une eau au moins une fois non-conforme en 2021.

En France, les eaux destinées à la consommation humaine (EDCH) ne doivent pas contenir plus de 50 milligrammes de nitrates par litre. En cas de dépassement de cette limite, une dérogation temporaire d’utilisation de l’eau peut être accordée pour des teneurs comprises entre 50 et 100 milligrammes par litre – une valeur que l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation invite à réévaluer à la lumière de données épidémiologiques et toxicologiques disponibles). Cette dérogation doit impérativement être accompagnée d’une recommandation de non-consommation pour les femmes enceintes et les nourrissons. Ces derniers pourraient en effet être victimes d’une intoxication aigüe (méthémoglobinémie) provoquée par la fixation des nitrites sur l’hémoglobine, entraînant un défaut d’oxygénation. Le risque reste cependant faible, aucun cas n’ayant été rapporté en France selon Santé publique France.

La dose journalière admissible (DJA) est de 3,7 milligrammes par kilogramme de poids corporel. En France, cette dose est dépassée par environ 1,5% des adultes et des enfants. L’Anses indique un lien entre une exposition élevée aux nitrates via l’eau de boisson et le risque de cancer colorectal, une suspicion de lien entre cette exposition et le risque de cancers des ovaires et des reins, et un lien à étudier entre une exposition périnatale aux nitrates et le risque de cancers pédiatriques. Si la consommation d’eau est visée davantage que la consommation de légumes, c’est que les nitrates qu’elle peut contenir se transforment en composés toxiques dans l’organisme (voir plus bas), contrairement à ceux des légumes, dont les vitamines limitent cette transformation.

Nitrites et nitrates dans la charcuterie : les vraies raisons d’une présence superflue et délétère

Ce jambon bien rose coupé en tranches fines vous fait saliver ? Sa couleur indique à coup sûr qu’il contient des nitrites (E250, E249) ou des nitrates (E251, E252). Or, lorsqu’ils sont mélangés à d’autres substances, nitrites et nitrates forment des composés chimiques instables, et notamment des dérivés N-nitrosés toxiques. Le plus dangereux est le fer nitrosylé, fruit d’une réaction chimique entre les nitrites et le fer héminique – un oligo-élément que l’on trouve dans les protéines animales -, qui se produit dans la viande et dans notre organisme pendant la digestion. La présence de ces composés nitrosés est associée à un risque accru de cancer colorectal, et les chercheurs soupçonnent un lien avec les cancers du sein, de la vessie, du pancréas, de l’estomac, de l’œsophage et de la prostate. En France, comme en Europe, la dose journalière admissible pour les nitrites est de 0,07 milligrammes par kilogramme de poids corporel. Les experts estiment qu’environ 1 % de la population française est concernée par un dépassement de cette dose.

Pour rassurer les consommateurs, les industriels racontent qu’ils ne font qu’adapter une recette ancestrale, connues depuis au moins 5 000 ans, consistant à saler les jambons et à les laisser se recouvrir de salpêtre, c’est-à-dire de nitrate de potassium, pour les conserver. C’est un raccourci trompeur. Les sociétés préhistoriques et antiques connaissaient la conservation de la viande par salaison et par fumage, mais ce n’est qu’à partir du Moyen-Âge que les premières traces d’addition régulière de salpêtre sont apparues timidement sur certains types de viandes, précise le documentariste Guillaume Coudray.

L’usage du salpêtre se développa au 19ème siècle aux Etats-Unis, pour répondre aux contraintes d’une production à grande échelle de charcuteries industrielles embauchant autant de chimistes que de charcutiers. Objectif : réduire les durées de fabrication et les temps de maturation de la charcuterie. Un jambon industriel peut en effet être prêt en 3 mois, alors qu’un jambon traditionnel, par exemple un jambon de Bayonne salé uniquement au sel en grains, doit maturer et sécher pendant au moins six mois. Les Etats-Unis autorisèrent dès 1925 l’utilisation de nitrite de sodium, qui ne fut légalisée en France qu’à partir de 1964, pour soutenir les industriels français face à la concurrence américaine. L’Académie de médecine de l’époque fut très réticents à faire entrer cet ingrédient toxique dans la composition d’un produit alimentaire.

A en croire les industriels, le principal rôle de ces additifs serait de prévenir le développement de bactéries, notamment Clostridium botulinum, qui produit une toxine dangereuse responsable du botulisme, une maladie paralytique grave, parfois mortelle. Pourtant, comme le soulignent les auteurs d’un rapport d’information de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale (N° 3731), la charcuterie sans nitrites, produite dans les conditions d’hygiène rigoureuses, ne pose aucun problème de sécurité sanitaire. Nul besoin d’utiliser la « javel de l’alimentation », explique Fanny Varoux, gérante d’une charcuterie fermière exclusivement élaborée à partir de mélanges d’épices et du sel de Guérande. Il suffit de faire un nettoyage drastique du laboratoire de transformation avant et après chaque recette, de sélectionner rigoureusement les viandes, de renforcer la surveillance, de manière à réduire au maximum l’entrée de bactéries. Un avis que partages les auteurs du rapport, qui ajoutent que les additifs nitrités permettent surtout de faciliter la commercialisation (en allongeant artificiellement la durée de conservation), et d’être moins rigoureux dans les processus de fabrication. Une moindre exigence sur l’origine de la viande est en effet possible quand on obtient la couleur rouge chimiquement sur des viandes de porc élevés rapidement et abattus jeunes, plutôt qu’en sélectionnant les viandes de porcs plus vieux auxquels on a permis une bonne activité physique, garants de muscles chargés en myoglobine, donc plus rouges. Une moindre exigence sanitaire est aussi possible quand on utilise des nitrites ayant des vertus antiseptiques, permettant par exemple d’abaisser le niveau de réfrigération ou d’assouplir les conditions de manipulation des produits. Et pour éviter d’incriminer uniquement les industriels, comme nous y invite le sociologue Marc-Olivier Déplaude, rappelons que ces additifs qui permettent « de fabriquer des aliments standardisés, ayant un bel aspect et une durée de vie très longue » sont aussi plébiscités par les consommateurs, malgré les alertes quant à leurs risques pour la santé.

Le risque de cancer lié à l’exposition aux nitrites et aux nitrates était déjà pointé du doigt en 1979.

Le rôle des nitrates dans l’alimentation – INA

Charcuteries sans nitrites, attention !

La mention « sans nitrites » peut malheureusement être trompeuse, certains industriels remplaçant les nitrates ou les nitrites incriminés par des extraits végétaux ou des bouillons de légumes, lesquels peuvent être sources de nitrates naturels qui seront convertis… en nitrites. Quant à la charcuterie bio, elle n’est pas obligatoirement exempte de nitrites : la réglementation européenne prévoit une dose maximale de 80 milligramme de nitrites par kilo, contre 150 milligrammes par kilo pour la  charcuterie « conventionnelle », une valeur abaissée à 120 milligrammes par le Code des usages de la charcuterie proposé en France.

Si l’une des solutions préconisées par Santé publique France est de manger moins de charcuterie, en limitant la consommation à 150 g par semaine, soit environ trois tranches de jambon blanc, un conseil encore plus judicieux serait de manger moins de mauvaises cochonneries et de fuir la dose journalière « acceptable » d’un produit cancérogène… On aurait en effet tort de se priver de ne manger que de la bonne charcuterie, sans additifs, qui saura rendre grâce aux éleveurs respectueux de leurs bétail, aux charcutiers responsables ayant du goût, et aux animaux, qui ne seront pas morts pour de vulgaires saucisses ou jambons sans saveur, en plus d’être délétères. L’UFC-Que choisir rappelle que si toutes les sources alimentaires de nitrites sont considérée « la dose journalière admissible (DJA) peut être dépassée pour toutes les catégories de population ».

Pour ceux qui n’ont pas accès à une charcuterie traditionnelle, certaines grandes marques jouent aujourd’hui le jeu, et proposent des produits sans nitrites, ni bouillon de légumes (de céleri ou de carottes, poireaux, acérola, blettes). L’application Yuka est très utile pour repérer les véritables charcuteries sans additifs à risque.

Crédits

Texte : JC Moine / Ethnomédia 

Photo : freepik.com